Question sur la lutte contre la pénurie des enseignants
Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée (MR), à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de la lutte contre la pénurie d'enseignants
Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, un enseignant sur trois quitte le métier dans les cinq ans après son engagement à cause des multiples intérims qu'il doit effectuer. Il est essentiel d'enfin remédier à la pénurie des enseignants, notamment pour les trois raisons suivantes.
Tout d'abord, il est urgent de régler ce problème, qui est actuellement d'autant plus grave que certaines matières n'ont pas pu être enseignées et que certains examens ont donc été annulés.
Ensuite, dans le cadre de mes rencontres avec les professionnels du secteur, j'ai appris que, dans certaines écoles, les périodes pour le dispositif FLA (français langue d'apprentissage), les périodes Covid, cette année, et peut-être les périodes d'accompagnement personnalisé - nous allons bientôt voter le texte qui les concerne, ce qui leur permettra d'entrer en vigueur l'année prochaine - sont utilisées non pas dans le but pour lequel elles ont été créées, mais parfois pour pallier l'absence d'enseignants qui n'ont pas pu être remplacés à cause de la pénurie.
Enfin, cette dernière sera aggravée par l'arrivée, heureuse, du premier cours de langue moderne en troisième et quatrième années de l'enseignement primaire, dès la rentrée scolaire de 2023. À cet effet, 450 enseignants supplémentaires devront être recrutés. Elle sera aussi aggravée par les périodes d'accompagnement personnalisé, qui, elles, nécessiteront l'engagement d'encore plus de membres du personnel dans les écoles. Sauf erreur de ma part, il s'agit de 425 équivalents temps plein (ETP) pour la prochaine rentrée et 1 657 ETP en vitesse de croisière en 2025-2026.
Voilà quels sont mes trois constats.
Nous avons déjà adopté le décret du 17 juillet 2020 portant des mesures en vue de lutter contre la pénurie que vous qualifiez vous-même de mesures à court terme. Une évaluation des effets de ce décret a-t-elle pu être menée? Qu'en ressort-il deux ans plus tard?
Comme vous l'aviez souligné à l'époque, la pénurie ne peut être réglée en trois coups de cuillère à pot. C'est pourquoi, outre ces mesures à court terme, vous étiez convaincue qu'il fallait inscrire la lutte contre la pénurie des enseignants dans une stratégie à moyen et à long termes.
À cet égard, figurait à l'ordre du jour de la réunion du gouvernement, ce 16 juin 2022, l'adoption en première lecture d'un avant-projet de décret instituant un dispositif expérimental créant un pool local de remplacement pour l'année scolaire 2022-2023 et contenant des mesures diverses en vue de lutter contre la pénurie d'enseignants. Je vois aussi qu'un rapport d'un groupe de travail, intitulé «Possibilités de parcours de réorientation professionnelle pour les enseignants de seconde carrière», devait être présenté au gouvernement.
À la fin du mois de juin 2021, vous avez annoncé que cet avant-projet de décret présenterait de nouvelles dispositions visant l'amélioration des conditions de travail et d'emploi des enseignants débutants, l'attractivité du métier pour les enseignants de seconde carrière, et qu'il prévoirait la création d'un pool de remplacement dans l'enseignement fondamental, sous la forme d'un dispositif expérimental, limité géographiquement.
Pouvez-vous dresser un bilan, le plus précis possible, de la pénurie des enseignants depuis la rentrée scolaire de septembre 2021, tant dans l'enseignement fondamental que dans l'enseignement secondaire et par matière?
Pouvez-vous nous présenter de manière plus détaillée cet avant-projet de décret, adopté en première lecture par le gouvernement, et les mesures prévues pour lutter contre la pénurie?
En quoi consiste le pool local de remplacement? Comment sera-t-il créé? Dans quelles zones sera-t-il constitué? Lors de la réunion du 28 septembre 2021 de notre commission, vous avez évoqué Bruxelles et le sud du Hainaut. Cette perspective a-t-elle été élargie à d'autres provinces, à Liège par exemple? Quelle sera sa plus-value? Comment trouver et motiver des candidats, que l'on ne trouve pas dans les écoles, pour intégrer ce pool de remplacement? Devra-t-il être fait appel aux membres du personnel en perte partielle de charge ou en disponibilité par défaut d'emploi? Le groupe MR insiste vraiment sur ce point. Que devront faire les enseignants en dehors des temps de remplacement? Lors de cette même réunion de commission, vous évoquiez des tâches pédagogiques diverses. En quoi consistent-elles? Qu'en est-il des tâches administratives? Qui va coordonner les affectations? Une évaluation de ce dispositif est-elle prévue? Dans l'affirmative, quand et comment?
Par ailleurs, quelles dispositions prévoyez-vous, d'une part, pour les enseignants débutants et, d'autre part, pour les enseignants de seconde carrière? Sera-t-il tenu compte de leur ancienneté? Outre les professeurs de langue, d'autres enseignants de seconde carrière seront-ils concernés par ces mesures? Sera-t-il possible pour des enseignants de seconde carrière de continuer à travailler en partie dans le secteur privé à côté de leur charge enseignante?
Enfin, quelles sont les projections budgétaires relatives à ces nouvelles mesures envisagées? Des mesures de compensation budgétaire ont-elles été prévues ou pourraient-elles l'être?
Lors de la réunion du 13 juillet 2021 de notre commission, je vous ai fait part de la proposition du groupe MR d'introduire la possibilité pour les membres du personnel de l'enseignement qui le souhaiteraient de travailler au-delà de 65 ans, en préservant leurs droits. Cette mesure n'est pas négligeable dans un tel contexte de pénurie. En outre, de nombreux enseignants compétents souhaitent encore apporter leur expérience et leur énergie au système éducatif après 65 ans. Vous m'avez répondu que cette mesure devrait faire l'objet d'un débat plus large, notamment dans le cadre des mesures relatives aux enseignants de seconde carrière. Avez-vous analysé cette proposition? Cette mesure est-elle reprise dans votre avant-projet de décret?
Enfin, la lutte contre la pénurie devra passer notamment par une revalorisation de l'image du métier d'enseignant. J'ai abordé cette question à plusieurs reprises en commission. Vous m'avez indiqué que le gouvernement entendait bien intensifier ses efforts pour revaloriser l'image du métier d'enseignant, mais vous ne m'avez pas donné d'indications sur les mesures envisagées ni sur la manière de procéder. D'après la Déclaration de politique communautaire (DPC), le gouvernement s'engage à «revaloriser l'image du métier d'enseignant et établir, avec tous les acteurs concernés, un vrai plan structurel de revalorisation des métiers de l'enseignement». Le gouvernement s'est-il déjà penché sur l'élaboration d'un tel plan structurel dans le cadre du chantier n° 12 du Pacte pour un enseignement d'excellence? Une méthode de travail a-t-elle été élaborée? Certaines mesures sont-elles déjà à l'étude ou en passe d'être adoptées? Auquel cas, pouvez-vous nous les présenter ainsi que le calendrier?
Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. - Comme vous l'avez rappelé, le problème de la pénurie d'enseignants que notre système scolaire connaît depuis près de 25 ans demeure un véritable défi. La nature des causes de cette pénurie démontre la profondeur des difficultés et indique que la combattre nécessite un travail structurel sur le long terme, en jouant sur de multiples dimensions.
Je rappelle que la réforme de la formation initiale et de la formation continue s'inscrit dans cette perspective. Sa mise en œuvre doit permettre, notamment, de concrétiser un objectif politique essentiel, celui de disposer à tous les niveaux du système éducatif de membres du personnel possédant le bagage pédagogique et disciplinaire le mieux adapté aux réalités du métier et aux besoins des élèves.
Par ailleurs, dès mon entrée en fonction, j'ai manifesté ma volonté de prendre une première série de mesures permettant de résorber autant que possible la pénurie à court terme. Le décret du 17 juillet 2020 avait ainsi pour ambition de lever toute une série de blocages d'ordre statutaire et administratif, en vue d'amener des enseignants plus facilement et plus rapidement face aux élèves. Les dispositions de ce texte feront l'objet d'une première évaluation dont les indicateurs précis ont été fixés par les services de l'administration. Je vous la présenterai, Madame Cortisse, à l'automne de l'année scolaire prochaine.
Toujours pour votre parfaite information, Madame Cortisse, je peux déjà vous préciser que, pour cette année scolaire, 78 % des membres du personnel disposent d'un titre requis, toutes fonctions confondues, dans l'enseignement obligatoire, 9,6 % d'un titre suffisant et 5,6 % d'un titre de pénurie. Il faut garder à l'esprit que ces chiffres varient d'une fonction à l'autre et d'un niveau d'enseignement à l'autre.
Quoi qu'il en soit, d'autres mesures de lutte contre la pénurie des enseignants sont évidemment encore nécessaires. Cet enjeu doit rester une priorité absolue durant la présente législature, mais aussi dans les années à venir. J'ai ainsi présenté au gouvernement un texte dont vous avez déjà découvert quelques éléments dans la presse. Un avant-projet de décret instituant un pool de remplacement et portant diverses mesures de lutte contre la pénurie vient d'être adopté en première lecture par le gouvernement. Ce n'est pas la première fois que nous en parlons ici.
Ces mesures qui doivent maintenant être soumises à la concertation avec les acteurs de l'enseignement viendront donc compléter les dispositions déjà prises au travers du décret du 17 juillet 2020, et prévoient que le dispositif expérimental de pool de remplacement des professeurs absents sera organisé pendant l'année scolaire 2022-2023 dans les zones géographiques de Bruxelles et du Hainaut-Sud pour l'enseignement fondamental. Ce dispositif s'inspire de celui de la Lerarenplatform créée en Communauté flamande. Pour rappel, ce projet avait d'abord été lancé sous une forme expérimentale en 2018-2019 avant d'être étendu. Il nous a donc semblé pertinent de démarrer également de cette manière au regard des multiples spécificités de notre enseignement en termes organisationnels et statutaires. Ce dispositif permettra ainsi de collecter des données correspondant à une diversité de réalités socio-économiques et socio-démographiques, tout en visant à toucher environ un tiers de la population scolaire de l'enseignement primaire. Concrètement, des périodes seraient octroyées aux PO afin de recruter des instituteurs primaires qui constitueront le pool. Les PO auraient la possibilité de mutualiser les périodes sur la base d'une convention de collaboration pouvant être établie entre PO de réseaux différents. Les enseignants du pool seraient affectés prioritairement à des remplacements dans toutes les écoles ayant établi un partenariat dans le cas d'une mutualisation des moyens. Entre ces remplacements, ils pourraient effectuer des tâches pédagogiques, comme du coenseignement ou de la remédiation. S'agissant de périodes octroyées, les règles statutaires s'appliqueraient à ces membres du personnel recrutés. Notons que ce pool serait accessible à des membres du personnel nommés à titre définitif. Ce projet vise à lutter contre le turnover des enseignants en début de carrière qui doivent souvent commencer avec un enchaînement d'intérims. Il leur assure une stabilisation relative de leurs attributions pendant une année scolaire complète. Ce dispositif va être soumis à une évaluation avant toute reconduction ou généralisation éventuelle. Il s'agira d'une évaluation conjointe menée par les services de l'administration et le cabinet au mois de mai 2023.
Les principales autres mesures portées par l'avant-projet de décret sont les suivantes. La première est la valorisation pécuniaire de l'expérience utile pour les maîtres de seconde langue dans l'enseignement fondamental. Le but de cette mesure est d'accroître l'attractivité de la profession pour des enseignants de deuxième carrière qui se destinent à l'enseignement des langues modernes dans l'enseignement fondamental, en prévoyant une valorisation pécuniaire des services prestés dans le secteur privé directement dans l'ancienneté pécuniaire avec un maximum de cinq ans. En effet, l'organisation, par l'instauration du tronc commun, de l'apprentissage d'une deuxième langue à partir de la troisième année primaire nécessitera de recruter un plus grand nombre d'enseignants à partir du mois de septembre 2023 dans un domaine fortement marqué par la pénurie. C'est un défi particulier.
La seconde mesure est le développement d'une ancienneté interréseaux. Cette disposition a pour but de faciliter la mobilité entre des écoles de pouvoirs organisateurs et de réseaux différents tout en préservant les priorités acquises en matière d'ancienneté de fonction au sein du même pouvoir organisateur. Le développement des anciennetés de services entre les différents réseaux d'enseignement permet en outre d'instaurer une culture de la mobilité auprès des enseignants. Il vise également une stabilisation plus rapide de l'enseignant en tant que membre du personnel définitif, notamment pour les débutants.
La troisième mesure vise à faciliter l'accès au jury CAP (certificat d'aptitudes pédagogiques) pour les membres du personnel en fonction dans l'enseignement. Cela permet d'acquérir la composante pédagogique nécessaire afin d'avoir droit à certains titres.
Quant au suivi des propositions contenues dans le rapport du groupe de travail consacré aux enseignants de seconde carrière, plusieurs mesures sont prévues dans les mois à venir, comme le lancement d'une campagne d'information et de promotion du métier d'enseignant, l'établissement de collaborations privilégiées avec les services régionaux de l'emploi, la facilitation des parcours professionnels depuis le secteur privé, mais aussi l'accompagnement des enseignants lors de leur entrée en fonction. Nous l'avons observé: beaucoup d'enseignants de seconde carrière quittent le métier dans les premières années.
En termes budgétaires, certaines de ces mesures impliquent des coûts importants en matière de subventions et de traitements. En effet, elles permettent d'engager des enseignants en vue de pourvoir des postes qui ne sont actuellement pas occupés et qui laissent des élèves sans professeur.
Enfin, d'autres chantiers ouverts concernant l'amélioration des conditions de travail doivent aussi contribuer plus indirectement à la lutte contre la pénurie. Je citerai notamment les moyens massivement investis dans la modernisation des bâtiments scolaires ou les dispositifs en cours de construction en matière de climat scolaire, sans oublier le travail que nous allons initier avec les organisations syndicales sur le respect des normes concernant la taille des classes.
À ce jour, mes services n'ont pas pu me communiquer d'informations précises quant au nombre de professeurs absents en cette fin d'année. Il n'est pas possible d'organiser un monitoring en temps réel de la situation, mais les fédérations de PO et Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) ont été consultés.
Il semble que la situation ne soit pas inhabituelle concernant l'annulation d'examens ou de corrections non réalisées. En tout état de cause, la législation est claire au sujet de l'organisation des épreuves sommatives: hormis les épreuves certificatives externes, il appartient aux pouvoirs organisateurs de déterminer les modalités de certification des élèves et il n'est pas obligatoire d'organiser des examens avec suspension de cours.
Par ailleurs, les motifs d'absence non prévus par l'arrêté du gouvernement de la Communauté française du 22 mai 2014, en cas de grève notamment, sont soumis à l'appréciation de la direction, y compris durant les examens, ceux-ci pouvant être reportés, à l'exception des épreuves externes. Conformément à l'arrêté royal du 29 juin 1984 relatif à l'organisation de l'enseignement secondaire, le conseil de classe peut se baser sur diverses informations concernant les élèves pour l'octroi des décisions de fin d'année. Les résultats obtenus aux épreuves organisées par les professeurs en font partie, mais ils ne constituent pas le seul critère d'appréciation. Par conséquent, un échec à une épreuve n'entraîne pas de facto l'échec de l'année scolaire. Enfin, je reviendrai sur la correction des CEB dans ma réponse à la question de Mme Delporte.
Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, je vous remercie pour vos statistiques sur les titres requis, les titres suffisants et les titres de pénurie, mais je comprends difficilement qu'il ne soit pas possible de disposer de chiffres relatifs à la pénurie en tant que telle, c'est-à-dire du nombre d'enseignants manquants et de ceux qui ne sont pas remplacés en cours d'année. Il serait intéressant d'avoir une vue globale comme cela se fait en Flandre. Je vous réinterrogerai sur le sujet pour voir si un tel monitoring est envisageable, car c'est à partir de constats que nous pourrons résoudre cette problématique.
En ce qui concerne le pool local de remplacement, vous ne m'avez pas répondu sur la possibilité ou non de faire appel aux membres du personnel en perte partielle de charge ou en disponibilité par défaut d'emploi. Or il me paraît important d'y recourir. Je ne vois pas pourquoi nous laisserions ces personnes rémunérées, mais sans travail, alors qu'il existe une pénurie d'enseignants.
Vous n'avez pas non plus précisé si les enseignants pourront, sur base volontaire, travailler au-delà de l'âge de la retraite durant une ou plusieurs années.
Enfin, je le salue le fait que des mesures sont prises pour les professeurs
de langue. Toutefois, la pénurie est particulièrement sévère dans
l'enseignement technique et professionnel, et j'espère qu'une réflexion
spécifique sera menée pour ces enseignants.