Question sur la souplesse dans le calendrier des réformes du Pacte d'Excellence
Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, intitulée « Vers plus de souplesse dans la mise en œuvre des réformes du Pacte pour un enseignement d'excellence »
Mme Stéphanie Cortisse (MR). – Après plusieurs reports liés à la crise sanitaire, les réformes du
Pacte pour un enseignement d'excellence s'enchaînent et beaucoup d'enseignants
et de directions d'écoles, s'ils ne les contestent souvent pas dans leurs principes,
regrettent leur accumulation et leurs délais de mise en œuvre.
Madame la Ministre, les représentants des
directions de chaque réseau vous ont avertie de la situation par plusieurs
courriers. J'entends également ces critiques sur le terrain, lors de mes
rencontres dans les écoles.
Lors de la réunion du 11 avril dernier de
notre Commission, vous avez rappelé que nous arrivions au bout de ces réformes,
du moins dans l'enseignement fondamental. Vous avez ajouté que le gouvernement
souhaitait alléger le programme pour que l'année prochaine se déroule le plus
sereinement possible. Vous avez également annoncé vouloir soumettre une série
de propositions très concrètes au gouvernement – ce qui a été fait – et vous
espériez pouvoir les communiquer officiellement au Comité de concertation du
Pacte le 20 avril dernier.
Quelles propositions concrètes ont-elles été
retenues par le gouvernement? Quels seront les allègements et la souplesse
apportés dans la mise en œuvre des réformes du Pacte durant l'année scolaire prochaine
et les suivantes? Certaines réformes sont-elles reportées? Si oui, lesquelles
et à quand?
Mme Caroline Désir, Ministre de
l'Éducation. – Le 6 avril dernier, j'ai réuni le
Comité de concertation du Pacte pour un enseignement d'excellence afin de faire
le point sur la situation et d'évaluer les conditions dans lesquelles il était
possible de poursuivre notre feuille de route.
Les fédérations de pouvoirs organisateurs et
la CSC ont souligné à quel point les directions et les enseignants – surtout dans
l'enseignement fondamental – peinent à suivre le rythme soutenu des réformes de
ces dernières années. Les courriers des associations de directeurs qui me sont
parvenus allaient dans le même sens.
Les signaux qui me sont revenus du terrain
convergent donc pour montrer que les répercussions de toutes ces réformes sur
la charge de travail des directions et des équipes éducatives n'ont sans doute
pas été pleinement mesurées en 2017 lors de l'élaboration du Pacte pour un
enseignement d'excellence. Force est de constater que le terrain doit absorber
de nombreux changements en peu de temps. La crise sanitaire est venue s'ajouter
et elle a renforcé les difficultés de ce programme de réformes. Certaines
nouvelles dispositions décrétales souffrent parfois aussi de maladies de
jeunesse et nous devrons progressivement améliorer les dispositifs.
Nous ne devons toutefois jamais oublier le
constat unanime dressé en 2017 par les acteurs de l'enseignement eux-mêmes: les
changements sont nécessaires pour faire face aux défis de notre système
scolaire, améliorer la qualité de notre enseignement et réduire les inégalités
scolaires. Ce constat reste plus que jamais d'actualité. Les acteurs de
l'enseignement eux-mêmes, dont ceux qui ont quitté le Comité de concertation,
continuent de le reconnaître.
En tant que ministre de l'Éducation, j'ai
donc la responsabilité de continuer à porter un projet pour l'ensemble du
système éducatif, afin de réduire le décrochage scolaire et le redoublement,
améliorer la maîtrise des savoirs de base et augmenter le bien-être des élèves.
Je continuerai bien sûr à porter ce projet et je souhaite tout mettre en œuvre
pour le faire avec les directeurs et les enseignants, et non contre eux.
Dans cette perspective, sur la base des
propositions de la CSC et des fédérations de pouvoirs organisateurs, j'ai
soumis au gouvernement une série d'assouplissements de notre feuille de route,
pour donner plus de temps et de souplesse aux équipes pour toutes les réformes
qui s'y prêtent. L'objectif de ces propositions, approuvées par le gouvernement
le 20 avril dernier, est très simple: il consiste à diminuer la pression.
Avant de vous en faire le détail et en guise
de préalable, je vous dirai un petit mot concernant le système de pilotage.
Ce dispositif cristallise, dans certains cas, du mécontentement. Il est souvent
perçu sous l'angle exclusif d'une charge administrative supplémentaire en
raison de réunions à tenir, d'un suivi administratif à réaliser ou des
évaluations à effectuer. Il est vrai que nous avons parfois fait peser trop de
pression sur les acteurs de terrain. C'est la raison pour laquelle nous venons
d'adresser aux acteurs de l'enseignement un document comportant une série de
balises à ce sujet. Il s'agit avant tout de cadrer le temps de travail, de définir
les modalités de mobilisation des enseignants, mais aussi de faire passer un
message essentiel, rappelé à plusieurs reprises aux délégués au contrat
d'objectifs (DCO) et directeurs de zone (DZ): le plan de pilotage et le contrat
d'objectifs sont avant tout des outils qui appartiennent aux écoles et qui
n'engagent pas d'obligations de résultat. Les contrats d'objectifs ne sont pas
et ne seront jamais des outils de contrôle des écoles. Ce sont des supports
pour inscrire l'équipe dans une dynamique de progression en toute autonomie et
permettre de faire le point à échéance régulière sur les actions et moyens
développés. Je le répète: la Fédération Wallonie-Bruxelles ne reprochera
jamais, ni aux pouvoirs organisateurs, ni à la direction, ni aux enseignants de
ne pas atteindre des objectifs chiffrés ou de ne pas réaliser toutes les
actions prévues dans le contrat. Dans les années à venir, nous devrons veiller
à évaluer le dispositif et ne pas hésiter à l'ajuster pour mieux concilier nos
ambitions de pouvoir régulateur et le vécu des écoles.
Pour élaborer nos propositions en vue d'un
allègement de la pression pour la prochaine rentrée, nous avons décidé de
donner la priorité aux réformes qui créent de nouveaux droits pour les élèves.
C'est le principe qui a guidé nos choix, c'est-à-dire qu'il nous a permis de
déterminer, parmi les nouvelles réformes prévues, ce qui devait impérativement
entrer en vigueur à la rentrée 2023 et ce qui pouvait faire l'objet d'un
phasage dans le temps. Entreront ainsi pleinement en vigueur, pour les élèves
de la première à la quatrième année primaire, la nouvelle procédure de
maintien, la poursuite du déploiement de l'accompagnement personnalisé et
l'anticipation des cours de langues en troisième année primaire en
Wallonie.
Pour les autres réformes qui étaient prévues
à la rentrée scolaire 2023, le mot d'ordre est donc la souplesse et chacun
pourra appliquer les mesures à son rythme. Je vous donne quelques exemples
concrets afin d'illustrer nos intentions.
Pour le dossier d'accompagnement de
l'élève (DAccE), il était prévu de l'imposer à la rentrée pour les élèves
depuis la troisième année de l'enseignement maternel jusqu'à la quatrième année
de l'enseignement primaire. Désormais, le DAccE rentrera certes en application,
mais de façon facultative. Par conséquent, l'école pourra décider d'utiliser ou
non le DAccE. Cette décision devra se prendre après la consultation de ses
organes de démocratie locale, à savoir le conseil de participation (copa) et
l'organe local de concertation. Cet allègement permettra aux écoles qui le
souhaitent de continuer à utiliser provisoirement soit leurs applications
propres, soit un format papier. Cet assouplissement est prévu pour une période
de trois années scolaires. Si l'école fait ce choix alternatif, elle sera
toutefois tenue de respecter la procédure de maintien. Il est important de le
souligner, car le respect de cette procédure crée des droits pour tous les
enfants. Cette procédure consiste à communiquer aux parents des élèves en
difficulté, à deux reprises dans l'année, les problèmes d'apprentissage
identifiés et les dispositifs de suivi mobilisés pour aider l'élève à surmonter
ses difficultés. L'école devra encoder le bilan de fin d'année de ses élèves,
essentiellement pour simplifier la gestion des procédures de recours en cas de
décision de maintien. Cette mesure allège donc l'outil DAccE, mais conserve la
procédure de maintien qui, quant à elle, crée des droits pour l'ensemble des
élèves.
Un autre exemple concret est le nouveau plan
de formation que les écoles doivent intégrer à leur plan de pilotage au
contrat d'objectifs devra l'être, au plus tard, lors de l'élaboration de leur
deuxième plan de pilotage, alors que c'était initialement prévu lors de la
prochaine rentrée. De même, le portfolio des enseignants ne sera pas
généralisé avant 2025-2026.
Un troisième exemple concret concerne
l'implémentation des périodes de langues en troisième et quatrième années
primaires. Il sera tenu compte du contexte de pénurie des enseignants, et
ce, pour répondre à l'inquiétude des équipes éducatives. Plusieurs mesures
spécifiques viennent d'être adoptées pour résoudre la pénurie des maîtres de
langues. Cependant, il n'est pas certain que ces mesures produiront tous leurs
effets pour la prochaine rentrée. Par conséquent, s'il s'avère que des écoles
éprouvent des difficultés à trouver tout de suite tous les enseignants
supplémentaires nécessaires, l'administration prendra bien en considération
cette dimension dans ses éventuels contrôles et évaluations. Très concrètement,
il ne peut pas être reproché aux écoles de ne pas avoir pu trouver un maître de
langues. Les écoles auront également plus de latitude pour utiliser les moyens
octroyés dans le cadre du tronc commun, à condition que cela serve soit à une
prolongation de l'éveil aux langues, soit à l'accompagnement personnalisé des
élèves. L'administration fournira également les recommandations utiles pour
l'appréciation du parcours des élèves et elle en tiendra compte dans
l'application du dispositif d'épreuves externes certificatives. Ainsi, si des
élèves n'ont pas pu suivre l'ensemble des heures de langue dès le démarrage du
dispositif, ils ne seront bien sûr pas pénalisés pour la réussite de leurs
années. Ce sera un plus pour tous ceux qui ont suivi le cours de langue dès la
troisième année primaire, mais personne ne subira de préjudice si ce n'est pas
entièrement le cas.
À Bruxelles et dans les écoles à statut
linguistique spécial, les trois périodes de langue obligatoires seront bien
financées en troisième et quatrième années primaires dès la rentrée de 2023,
mais l'obligation d'organiser une 29e période dans la grille horaire
hebdomadaire des élèves est reportée à la rentrée 2025-2026. Ce délai permettra
aussi de mieux appréhender les conséquences organisationnelles de cette 29e
période. La souplesse est de mise et cette mesure est donc facultative:
certaines écoles ont l'intention de s'emparer de cette mesure tandis que, pour
d'autres, cela deviendrait un casse-tête organisationnel.
En ce qui concerne les révisions opérées sur
notre feuille de route pour le reste de la législature, mon intention n'est pas
d'organiser un sprint pour l'année qui reste afin de boucler un maximum
d'avancées. Si l'enseignement fondamental est le niveau qui a bénéficié
du plus gros des moyens supplémentaires du Pacte jusqu'ici, c'est aussi celui
qui a été le plus soumis aux conséquences du nombre de réformes: l'obligation
scolaire à partir de 5 ans et, surtout, la réforme du tronc commun. La
saturation y est réelle, mais je rappelle que nous arrivons au bout des grands
changements pour l'enseignement maternel, notamment en raison de la fin du
déploiement du tronc commun.
Jusqu'à la fin de la législature, j'envisage de présenter plusieurs projets de décret, comme la gouvernance des options de l'enseignement qualifiant, le soutien à l'accompagnement et à l'évaluation des enseignants, l'éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS), le harcèlement scolaire. Je ferai de même pour les projets qui ont fait l'objet d'une note d'orientation, comme c'est le cas pour le chantier n° 16 relatif à la démocratie scolaire.
Il y a aussi le texte lié à la mise en œuvre
de réformes déjà adoptées et, enfin, des réformes clés comme la lutte contre
le décrochage scolaire, l'orientation vers l'enseignement spécialisé,
la création du cadre juridique des écoles du tronc commun et les activités
orientantes dans les dernières années du tronc commun. Concernant les
activités orientantes et le décrochage scolaire, il faut souligner que, même si
nous avançons dans le travail législatif, l'entrée en vigueur de cette réforme
est prévue pour la prochaine législature. Je le dis pour ne pas effrayer
davantage les écoles. Dans certains cas, nous devons évidemment continuer le
travail entamé au niveau gouvernemental et parlementaire.
En ce qui concerne l'aide administrative
aux directions, les moyens dégagés dans le cadre de l'accord sectoriel
seront entièrement disponibles dès la prochaine rentrée scolaire, tandis que
les travaux se poursuivent pour revoir les modalités de répartition de ces
enveloppes. Dans l'intervalle, le montant forfaitaire impliqué dans le calcul
du modèle en vigueur sera actualisé pour correspondre à l'augmentation de 7,8
millions d'euros décidée dans le cadre de l'accord sectoriel.
Par ailleurs, les écoles secondaires
sont en attente de clarté sur les contours des années qui suivent celles du
tronc commun. Je me dois de leur envoyer un message rassurant à cet égard. Même
si nous ne légiférerons pas en la matière sous cette législature, nous devons
arrêter un certain nombre d'orientations encore sous cette législature. Un
groupe de travail comparable à ceux qui avaient été mis sur pied pour
construire le Pacte, réunissant les opérateurs de l'enseignement et des experts
notamment scientifiques, sera créé et il agira sous la présidence du professeur
Marc Romainville. Ce groupe de travail aura pour mission de préciser les
orientations à donner au parcours des élèves après le tronc commun et
d'organiser les nouvelles filières de transition et qualifiantes. Son cahier
des charges sera défini à la fin des vacances de printemps. Il articulera ses
travaux avec le chantier relatif à l'enseignement qualifiant et il les
poursuivra jusqu'au mois de février 2024.
Mme Stéphanie Cortisse (MR). – La mobilisation et l'adhésion au Pacte ne se décrètent pas. Il est
donc important de maintenir le cap, mais aussi, quand c'est nécessaire,
d'ajuster la feuille de route aux réalités de terrain des équipes éducatives et
des directions.
Dans l'enseignement fondamental, les
réformes s'accumulent. Dans le secondaire, à l'inverse, beaucoup d'incertitude
se fait ressentir par rapport aux réformes qui viendront lorsque le tronc
commun entrera en vigueur.
Je me réjouis dès lors que le gouvernement et vous-même ayez consulté les acteurs de l'enseignement afin de trouver des solutions pour apporter plus de souplesse dans la mise en application des réformes du Pacte. L'objectif est de laisser un délai d'adaptation aux écoles pour certaines réformes qui s'y prêtent et de ramener la sérénité.
En revanche, parmi les réformes citées qui
sont au bénéfice des élèves, il manque celle relative à la lutte contre le
décrochage scolaire. Celui-ci est un véritable fléau qu'on aurait dû traiter au
plus vite, en 2023 déjà. Cette modification de la feuille de route aurait pu permettre
d'avancer sur ce point. Le Pacte prévoit en effet une diminution de 50 % du
taux de décrochage scolaire d'ici 2030. Or, depuis la crise sanitaire, ce
phénomène augmente de manière exponentielle. Au 31 décembre 2022, il touchait
23 000 élèves, ce qui représentait une hausse de 32 % par rapport à l'année
précédente et de 90 % par rapport à 2019. J'espère donc que certaines mesures
entreront quand même en vigueur dès la rentrée scolaire prochaine. Il me semble
que le temps presse quant à la réforme de lutte contre le décrochage scolaire,
puisqu'on perd des élèves au fil des mois et des années.
Enfin, je réitère la demande des directions de faire partie du Comité de concertation du Pacte pour un enseignement d'excellence, dont la composition a été réglée il y a des années. Dès lors que la plupart des syndicats ont désormais quitté ce comité, ne pourrait-on pas revoir la composition de ce dernier pour y inclure les représentants des directions?