Question sur le décrochage scolaire en hausse
Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de la lutte contre le décrochage scolaire
Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, depuis plus de deux ans, je vous interroge régulièrement sur la lutte contre le décrochage scolaire, qui connaît une hausse interpellante depuis le début de la crise sanitaire.
Pour rappel, le Pacte pour un enseignement d'excellence prévoyait une diminution du décrochage scolaire de 50 % d'ici à 2030.
Or, d'après les chiffres que vous m'avez communiqués en commission le 18 juillet dernier, le décrochage scolaire a augmenté de 28 % entre les années scolaires 2020-2021 et 2021-2022. Il a même augmenté de 56 % dans l'enseignement secondaire. En 2020-2021, l'absentéisme scolaire avait déjà presque doublé par rapport à l'année scolaire précédente, puisqu'il avait connu une hausse de 45 % en Wallonie et de 36 % à Bruxelles.
Il est donc indispensable d'accélérer les travaux du chantier n° 13 du Pacte, qui vise à lutter contre le décrochage scolaire. Pour rappel, le plan de lutte contre le décrochage scolaire, prévu dans l'avis n° 3 du Groupe central, s'articule autour de trois axes: la prévention, lorsque les premiers signes apparaissent et quand l'élève est encore présent dans l'école; l'intervention, lorsque l'élève s'absente et quand son éloignement de l'école nécessite d'autres types de prise en charge; la compensation, dans les cas de décrochage scolaire avéré.
Actuellement, de nombreux acteurs et services travaillent quotidiennement sur ces questions: les centres PMS, en première ligne pour la prévention; les équipes mobiles et les médiateurs, qui constituent la deuxième ligne pour l'intervention; les services d'accrochage scolaire (SAS), qui font partie de la troisième ligne, chargée de la compensation.
Le Pacte prévoit de renforcer les coordinations locales et zonales de ces multiples acteurs impliqués dans la lutte contre le décrochage scolaire. L'objectif est un meilleur accompagnement et une meilleure prise en charge de tous les élèves en situation de décrochage scolaire. La coopération de tous ces professionnels et une répartition bien définie des tâches, où le travail de chacun s'articule avec celui des autres, sont indispensables.
Je vous interroge de nouveau sur ce sujet, car l'ordre du jour de la séance du 19 janvier dernier du Gouvernement prévoyait l'adoption d'une «note d'orientation relative au Plan global de lutte contre le décrochage scolaire dans l'enseignement obligatoire».
Quels sont les chiffres actualisés des élèves en absence injustifiée au 31 décembre 2022? La tendance à la hausse s'est-elle confirmée lors de cette année scolaire? Pouvez-vous comparer ces chiffres à ceux des trois années scolaires précédentes à la même époque?
Quelles sont les conclusions de la note d'orientation que votre gouvernement vient d'adopter? Quelles mesures sont-elles retenues pour lutter contre le décrochage scolaire? Vous avez précisé que ce chantier est structuré autour d'une dizaine de projets. Lesquels? Quel est le calendrier de la suite des travaux du chantier n° 13 du Pacte?
Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. - Les chiffres communiqués par mes services confirment bien, malheureusement, une hausse de l'absentéisme. Globalement, au 15 décembre dernier, une augmentation de plus de 30 % était enregistrée par rapport à 2022. Je joins d'ailleurs à ma réponse les chiffres communiqués par mes services.
Par conséquent, je me réjouis que le Gouvernement ait approuvé la note d'orientation relative au Plan de lutte contre l'absentéisme des élèves centrée sur une stratégie de réduction du décrochage que je lui ai proposée.
Outre les nombreuses initiatives et les réformes du Pacte pour un enseignement d'excellence visant à renforcer l'accrochage scolaire et à agir sur les causes du décrochage, cette stratégie sera déclinée en trois axes spécifiques ciblés sur l'élève.
Ces axes seront également déployés dans un espace-temps clairement défini: la prévention ciblée individuelle, l'intervention et la compensation. Responsables du fait que tous les élèves soient pris en charge de manière appropriée, des personnes-pilotes intégreront chacun de ces axes. Leur travail s'articulera avec les intervenants de terrain œuvrant déjà aujourd'hui contre le décrochage scolaire pour développer concrètement les actions d'accompagnement des jeunes, prévues conjointement avec le pilote de l'axe en question.
Trois actions préalables devront être menées avant de passer à l'installation du plan dans les établissements scolaires. La première action vise l'ensemble des absences injustifiées qui feront désormais l'objet d'une détection systématique dès le premier demi-jour d'absence et de manière continue grâce à une nouvelle application proposée par le pouvoir régulateur. On gagne du temps, grâce à cette dernière. Pour tout élève atteignant le seuil de neuf demi-jours d'absence injustifiée, la deuxième action consistera en un rappel à la loi automatiquement et immédiatement envoyé aux parents ou responsables légaux par les services de l'Administration générale de l'enseignement (AGE). J'en viens à la troisième action. Les parents ou les responsables légaux d'élèves atteignant le seuil de dix demi-jours d'absence injustifiée seront convoqués par la direction d'établissement, avec pour objectif de leur rappeler les obligations légales, de les sensibiliser aux conséquences négatives de l'absentéisme et de nouer un dialogue constructif sur les moyens d'y remédier.
Il y aura une légère distinction de fonctionnement entre l'enseignement fondamental et l'enseignement secondaire. Dans ce dernier, un garant est désigné pour développer une culture de l'accrochage scolaire. Enfin, les élèves majeurs, respectant le double critère d'être âgés de 18 à 21 ans et d'être à moins de deux ans de la diplomation, seront eux aussi concernés par ce schéma.
Le Gouvernement m'a demandé de lui présenter les modifications légales et réglementaires pour l'entrée en vigueur de cette stratégie lors de la rentrée scolaire 2024. Le dispositif adopté est le résultat du travail du chantier n° 13 et de groupes de travail qu'il a diligentés en présence d'experts et d'acteurs de terrain. Bon nombre de projets déterminés, enracinés dans les précédents, ouvrent la porte aux suivants dans une perpétuelle évolution systémique.
Ainsi, des sessions de travail ont déjà été spécifiquement dédiées, par exemple, aux SAS, opérateurs occupant une place privilégiée dans l'axe de compensation et dépendant tant de l'enseignement que de l'aide à la jeunesse. Les SAS sont fortement impliqués dans les travaux relatifs à la création de l'application susmentionnée. D'autres sessions de travail avec les SAS doivent encore être planifiées.
Les indicateurs qualitatifs et quantitatifs, évalués et suivis dans le temps, essentiels au pilotage du système éducatif et des écoles, devront également être établis.
Des contacts avec les autres niveaux de pouvoir ont été pris, afin de créer des synergies nécessaires à la prise en charge optimale des élèves, et ce, quels que soit leur situation, leur état ou l'étape à laquelle ils se trouvent dans leur parcours scolaire.
Dans le cadre de la programmation du fonds de sécurité d'existence (FSE), le projet Amarrage, destiné aux écoles secondaires ordinaires et spécialisées, aux centres PMS, aux centres d'éducation et de formation en alternance (CEFA), aux services d'aide en milieu ouvert (AMO) et aux SAS, est coordonné par le Centre de coordination et de gestion des programmes européens (CCGPE). Ce projet a notamment débouché sur la création de dispositifs d'accrochage scolaire, internes ou externes aux écoles, et ce, en concertation entre les secteurs de l'enseignement et de l'aide à la jeunesse. Le CCGPE participe aux comités de pilotage de la «Garantie jeunesse», tant à Bruxelles qu'en Wallonie. Ces derniers permettent aux différents acteurs qui travaillent à l'amélioration de l'insertion des jeunes, de se concerter sur les actions menées et les difficultés rencontrées. La collaboration intersectorielle démontre une plus-value dans la qualité et le nombre des accompagnements de jeunes. La sélection des projets déposés au FSE par le CCGPE en mai 2022 sera communiquée à la fin de mars 2023, conformément aux dernières informations reçues de l'agence FSE
J'ajoute qu'un accord de coopération entre la Communauté française, la Commission communautaire française (COCOF) et la Région de Bruxelles-Capitale, relatif aux besoins spécifiques de l'enseignement et de l'accueil de la petite enfance à Bruxelles, est en voie d'élaboration. Un de ces objets vise précisément la lutte contre le décrochage scolaire et l'abandon scolaire précoce.
Quant aux courriers envoyés aux parents par le Service du droit à l'instruction (SDI) après un premier signalement pour rappeler de manière officielle la loi concernant l'obligation scolaire, ils font partie intégrante de la procédure actuelle et mentionnent également les sanctions prévues en cas de non-respect des règles relatives à l'obligation scolaire. Ils revêtent dès lors un caractère officiel. Si l'absentéisme de l'élève perdure et si aucun intervenant, qu'il s'agisse d'un centre PMS, d'un service d'aide à la jeunesse (SAJ) ou d'un service d'aide en milieu ouvert (AMO), ne prend déjà en charge le dossier, cet élève sera orienté vers le service des équipes mobiles d'accompagnement (EMA), qui tentera alors de recréer du lien entre la famille et l'école en s'appuyant sur les règles relatives à l'obligation scolaire. Si nécessaire, les membres de ces équipes peuvent accompagner les familles vers des services plus adaptés, mais il ne s'agit cependant pas d'un service d'aide contraignante. Vous comprendrez donc que la dimension «temps» joue un rôle dans le traitement des absences par les intervenants psycho-socio-éducatifs et se heurte parfois aux attentes des directions d'école, qui sont pour leur part ancrées dans le présent, ce qui se comprend bien évidemment. Chacun travaille en effet en fonction de ses propres objectifs. À ce jour, je n'ai pas connaissance de situations ou de plaintes liées à des réactions violentes de parents. Je déplore évidemment ce type de réaction. En cas d'incident, il est toujours possible de faire appel aux équipes mobiles afin d'obtenir un soutien.
Ne nous en cachons pas: globalement, la relation entre l'école et les familles s'est quand même complexifiée dans certaines écoles, notamment à la suite de la crise sanitaire. Plusieurs projets sont en réflexion dans le cadre des chantiers du Pacte pour un enseignement d'excellence pour améliorer la qualité de cette relation et identifier les leviers d'action.
Enfin, les vérificateurs ont pour mission de comptabiliser les élèves régulièrement inscrits pour le calcul de l'encadrement, des dotations-subventions, du capital-périodes ou du nombre total de périodes professeurs (NTPP) octroyé aux établissements. En outre, ils veillent au bon respect de la réglementation et contrôlent les documents nécessaires attendus.
Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, le taux de décrochage scolaire est affolant cette année: on parle d'une augmentation de 30 % par rapport à l'année précédente, alors qu'on avait déjà enregistré une hausse de 30 % en 2021-2022 et qu'en 2020-2021, le décrochage scolaire avait presque doublé par rapport à 2019-2020. Le phénomène est donc vraiment exponentiel et il fait peur.
Les chiffres ne sont pas les seuls à le démontrer; il me revient aussi du terrain que les écoles se retrouvent démunies par rapport au décrochage des jeunes.
Il s'agit donc
vraiment d'un chantier important. Pas mal de réformes sont prévues, mais elles
ne le sont malheureusement que pour la rentrée scolaire 2024-2025. Certaines
devraient être accélérées et entrer en vigueur en 2023. En effet, nous vous
reposerons sans doute les mêmes questions l'année prochaine et on sera peut-être
à nouveau face à une hausse de 30 %, voire de 50 %. Avancer au plus vite sur la
réforme doit donc être une des priorités de la fin de la présente législature.
Je ne manquerai évidemment pas de continuer à suivre cela de près.