Question sur l'inquiétude des acteurs de terrain quant à l'allongement du tronc commun
Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos des inquiétudes des acteurs de terrain pour leurs élèves quant à l'allongement du tronc commun jusqu'à la fin de la troisième année secondaire
Mme Stéphanie
Cortisse (MR). – Le Pacte pour un enseignement
d'excellence a été adopté durant la précédente mandature, lorsque mon groupe
était dans l'opposition. Si le Pacte contient beaucoup de mesures positives,
mon groupe était toutefois contre l'allongement du tronc commun jusqu'à la fin
de la troisième année secondaire. Toutefois, le Pacte porte bien son nom: il
est en effet destiné à transcender les mandatures malgré les changements de
majorité. C'est pourquoi mon parti, lorsqu'il a intégré la majorité pour la
présente législature, a toujours été loyal par rapport à la mise en œuvre des
réformes prévues par le Pacte.
Cependant, Madame
la Ministre, notre rôle de parlementaire est aussi de vous faire part des
inquiétudes, remarques et suggestions émanant des professionnels de terrain
vis-à-vis de ces réformes. Dans le cadre de ma tournée des écoles de
l'arrondissement de Verviers, tous niveaux et tous réseaux d'enseignement
confondus, je n'ai pas encore rencontré la moindre direction ou le moindre
enseignant qui était en faveur d'un allongement du tronc commun jusqu'à la fin
de la troisième année secondaire. Les opérateurs de terrain, tant de
l'enseignement fondamental que de l'enseignement secondaire, me font part de
beaucoup d'inquiétudes à cet égard.
Ils sont inquiets
pour les élèves en difficulté qui devront suivre les mêmes cours généraux que
tous les autres, avec du latin notamment, et ce, jusqu'en troisième année
secondaire, et pour les élèves qui auront raté le certificat d'études de base
(CEB). D'ailleurs, une large majorité des opérateurs de terrain est en faveur
du maintien du CEB. Ils s'inquiètent également de la suppression du degré
différencié en première et deuxième années secondaires ou du fait que les
élèves pourront moins vite se diriger vers l'enseignement qualifiant, alors que
l'on souhaite, au contraire, valoriser ce type d'enseignement. Ils craignent
encore que les élèves scolarisés dans l'enseignement fondamental spécialisé
aient beaucoup plus de mal à retourner dans l'enseignement ordinaire pour y
faire leurs études secondaires, alors que l'on souhaite, au contraire, diminuer
le nombre d'élèves dans l'enseignement spécialisé. Enfin, ils s'inquiètent du
fait que les élèves n'auront aucun choix d'orientation ou d'option à poser
avant leur quatrième année secondaire, alors que l'on veut, au contraire,
renforcer l'orientation.
Madame la Ministre,
pour quelles raisons et sur quelles bases les rédacteurs du Pacte ont-ils
estimé devoir allonger d'une année le nouveau tronc commun? Alors que les
acteurs institutionnels ont pu donner leur avis, les opérateurs de terrain
ont-ils été appelés à faire de même? Que répondez-vous à chacune des
inquiétudes que j'ai citées? Que sera-t-il prévu pour les élèves en difficulté?
Le degré différencié sera-t-il finalement supprimé? Ne faudrait-il pas, au
contraire, le maintenir et l'allonger jusqu'en troisième année secondaire pour
les élèves pour lesquels ce serait nécessaire? Ne craignez-vous pas que
l'allongement du tronc commun creuse encore plus les inégalités et augmente le
taux de redoublement et de décrochage scolaire, alors que le Pacte vise, au
contraire, une réduction de moitié de ces taux d'ici 2030?
Mme Caroline
Désir, ministre de l'Éducation. – Madame la Députée,
je vais vous répondre de manière exhaustive.
Tout au long de l'actuelle législature, nous avons travaillé dans un climat constructif et serein. Je vous en remercie. Votre groupe n'a pas simplement été loyal sur le principe du Pacte pour un enseignement d'excellence; il a activement participé à sa concrétisation en y apportant souvent des nuances et en veillant au respect des équilibres fondamentaux.
L'allongement du
tronc commun fait partie de ces équilibres. Il s'agit même d'un axe structurant
du Pacte. Cette proposition découle directement des diagnostics posés au moment
des travaux préliminaires et des comparaisons internationales. Elle était au cœur
des premiers rapports de synthèse et des documents soumis aux acteurs pour
approbation, en ce compris l'avis n° 3 du Groupe central.
La durée du nouveau
tronc commun, telle qu'inscrite dans l'avis n° 3, a été longuement discutée,
puis actée dans la Déclaration de politique communautaire (DPC). Ce tronc
commun «allongé» était encore une coquille vide lors de l'installation de mon
gouvernement. Grâce au soutien de votre groupe, nous lui avons donné corps de
plusieurs manières: premièrement, en adoptant les nouveaux référentiels de
compétences, qui sont désormais adaptés aux réalités du 21e siècle et qui
renforcent les compétences de base et assoient le caractère polytechnique de
ces apprentissages; deuxièmement, en instaurant l'accompagnement personnalisé
avec tous les moyens supplémentaires nécessaires pour que les élèves, et
surtout ceux en difficulté, bénéficient d'un soutien scolaire accru proposé par
des équipes renforcées; troisièmement, en réformant la procédure de maintien
pour garantir l'identification précoce des problèmes d'apprentissage et le
déploiement de solutions pédagogiques pour lutter à la source contre le
redoublement, ainsi qu'en assurant l'inscription dans la grille horaire
d'activités orientantes afin d'ancrer davantage l'ambition du tronc commun. Le
texte qui formalise ce dernier dispositif est en cours d'adoption. Ces éléments
font partie des acquis fondamentaux de notre gouvernement.
Sur le fond, il est
évident que toutes les directions et tous les enseignants ne sont pas
favorables à l'allongement du tronc commun. Néanmoins, même dans le contexte
tendu des derniers mois, il n'est à aucun moment question, pour les acteurs
institutionnels de l'enseignement et les associations de directeurs, de
remettre en question ce principe fondateur du Pacte. Ils ont continué à le
défendre tout en soulignant la difficulté de sa mise en œuvre liée au rythme
des réformes et à leur profondeur.
Madame la Députée,
si votre tour des écoles de l'arrondissement de Verviers vous a amenée à douter
de la qualité des textes que les groupes de la majorité – dont le vôtre – ont
adoptés, je vous rappelle rapidement quelques arguments. Le tronc commun n'a pas
seulement été allongé, il a été réformé. Il ne part pas du principe selon
lequel les élèves doivent impérativement suivre une orientation standardisée;
au contraire, ils peuvent découvrir une multitude de savoirs et d'orientations
pour poser un choix éclairé au terme de leur parcours commun. Et pour poser un
tel choix éclairé, les élèves doivent la maturité suffisante, après avoir
expérimenté une diversité de compétences. Le tronc commun est accompagné d'une
série de mesures visant à détecter le plus précocement possible les besoins
d'apprentissage des élèves et à y apporter les solutions les plus adaptées pour
que chacun puisse progresser vers l'excellence. Il ne diminue nullement
l'exigence à l'égard des élèves; au contraire, il la renforce et multiplie les
compétences à acquérir pour réussir. Il ne supprime pas le redoublement; au
contraire, il l'a permis dans des années où il ne l'était pas jusqu'ici, à
condition que tout soit mis en œuvre pour aider les élèves à progresser. Lutter
contre le redoublement dans le tronc commun, c'est fournir plus de moyens pour
que les élèves réussissent en maîtrisant des attendus exigeants; ce n'est
certainement pas les faire passer à tout prix. J'espère que ces quelques
rappels vous auront convaincue et que nous pourrons tous porter fièrement ce
bilan durant les quelques mois qui nous séparent des élections. L'inverse
serait dommage vu les moyens humains et financiers colossaux que nous avons
décidé, ensemble, d'investir dans ces politiques.
Enfin, pour
répondre à vos questions sur les moyens du premier degré différencié, les
équipes du Pacte pour un enseignement d'excellence travaillent actuellement à
la modélisation de plusieurs scénarios susceptibles de maintenir un encadrement
optimal au bénéfice des élèves qui en ont le plus besoin. La réflexion
s'articule avec celle sur la poursuite du déploiement de l'accompagnement
personnalisé, puisqu'une enveloppe budgétaire a été réservée pour l'aménagement
de ce dispositif dans l'enseignement secondaire. Cette réflexion se poursuivra
avec les acteurs concernés dans les prochains mois afin de remettre des
propositions construites aux négociateurs de la prochaine majorité. Comme je
l'ai déjà dit à plusieurs reprises, c'est un point qui m'interpelle également
et pour lequel nous devons apporter des solutions. Je me réjouis en tout cas de
votre positionnement en faveur du maintien, a minima, des moyens y afférant.
Mme Stéphanie
Cortisse (MR). – Madame la Ministre, votre réponse est
très politique, alors que ma question portait sur des faits rapportés par les
160 écoles de mon arrondissement. Vous recevrez d'ailleurs le rapport de mes
longues rencontres avec les différentes directions de ces établissements. La
plupart d'entre elles sont vraiment inquiètes vis-à-vis de l'allongement du
tronc commun. Ma question est une synthèse des remarques formulées par les
professionnels de terrain.
J'ai d'ailleurs
rappelé, au début de mon intervention, que l'allongement du tronc commun a été
adopté durant la précédente législature, non sans contestation de la part de
mon groupe. Néanmoins, nous avons dû mettre en œuvre les autres mesures qui
accompagnaient l'établissement de ce tronc commun durant l'actuelle mandature.
Nous avons toujours respecté le Pacte et je ne vous demande pas de faire marche
arrière dans l'allongement du tronc commun. Je vous rapporte simplement toutes
les difficultés qui surviennent.
Il existe un fossé
entre les acteurs institutionnels et les professionnels de terrain, car ces
derniers s'inquiètent de l'allongement du tronc commun et de la suppression du
degré différencié. Certains enseignants et certaines directions de
l'enseignement fondamental se demandent d'ailleurs ce que vont devenir leurs
élèves au moment du passage dans l'enseignement secondaire, s'ils rejoignent le
tronc commun. D'autres craignent que certains élèves n'aient plus leur place
dans l'enseignement secondaire.
Ce n'est donc pas
une question politique, mais de véritables inquiétudes exprimées par les
acteurs de l'enseignement. Il existe une vraie
problématique concernant le degré différencié et les élèves en difficulté. Il
faut la résoudre et je ne pense pas que l'accompagnement spécialisé suffise. Dès lors, il sera
important d'évaluer la pertinence de l'allongement de ce tronc commun après sa
mise en œuvre.